Quelles conséquences en cas de dépôt spontané de pièces complémentaires par le pétitionnaire après le dépôt de sa demande d’autorisation d’urbanisme ?
En résumé :
Dans le cas où le pétitionnaire dépose de son propre chef des pièces en cours d’instruction qui ne sont pas de nature à modifier la substance du projet, le délai d’instruction légal n’est pas interrompu et une décision d’autorisation tacite naît à l’issu de l’instruction, à défaut de réponse de l’administration dans ce délai.
A contrario, dans le cas où les pièces déposées entraînent une modification substantielle du projet initial, le délai d’instruction est interrompu et un nouveau délai commence à courir à la réception des pièces complémentaires en mairie. Toutefois, pour que le délai d’instruction soit interrompu, l’administration doit notifier le nouveau délai dans le mois qui suit la réception des pièces complémentaires. A défaut, une décision d’autorisation tacite nait dans le délai légal.
Cependant, la naissance d’une autorisation d’urbanisme tacite ne fait pas obstacle à ce qu’elle soit retirée par l’administration dans les trois mois qui suivent son édiction, si elle est illégale, après avoir préalablement demandé au pétitionnaire de présenter ses observations.
Il est assez fréquent que, postérieurement au dépôt initial de sa demande d’autorisation d’urbanisme, le pétitionnaire décide d’apporter de nouvelles pièces.
Ce dépôt de pièces emporte de nombreuses conséquences, qui doivent être distinguées selon deux grandes catégories, suivant que l’administration a sollicité de nouvelles pièces (1) ou que le pétitionnaire l’a fait de son propre chef (2).
1. Le dépôt de pièces supplémentaires en cas de lettre d’incomplétude de l’administration
À l’issu du délai légal d’instruction d’une demande d’autorisation d’urbanisme, qui peut être majoré dans certaines situations, le silence gardé par l’autorité compétente vaut tacitement permis ou bien non-opposition à déclaration préalable[1].
Cependant, ce délai ne commence à courir qu’en cas de dossier complet, c’est-à-dire qui comporte l’ensemble des pièces qui sont énumérées dans le code de l’urbanisme[2].
Si les services instructeurs constatent que le dossier de demande d’autorisation d’urbanisme ne comporte pas l’ensemble des pièces exigées par le code de l’urbanisme, l’administration peut adresser au pétitionnaire une demande de pièces complémentaires dans le mois qui suit le dépôt du dossier de demande d’autorisation d’urbanisme.
Cette demande doit porter uniquement sur la liste des pièces énumérées par le code de l’urbanisme, l’administration ne pouvant pas fonder un refus sur une pièces qui ne relève pas de la liste limitative imposée par le code de l’urbanisme[3].
L’illégalité d’une demande de pièces complémentaire n’aura cependant pas pour effet de rendre le pétitionnaire titulaire d’une autorisation d’urbanisme tacite.
L’administration devra alors réinstruire sa demande.
A défaut de demande régulière de pièces dans les délais, le dossier est réputé être complet, et toute demande de pièces complémentaire postérieure ne modifie pas le délai d’instruction[4].
Si la demande de pièces complémentaires est adressée dans les délais, le pétitionnaire a trois mois à compter de la réception de la demande de l’administration pour communiquer les pièces manquantes[5].
Au-delà de ce délai, la demande d’autorisation d‘urbanisme fera l’objet d’une décision de rejet tacite.
Le délai d’instruction commencera à courir à compter de la réception des pièces manquantes par la mairie si celles-ci lui sont adressées dans les délais.
2. Le cas du dépôt spontané par le pétitionnaire de nouvelles pièces complémentaires
Quid du dépôt spontané par le pétitionnaire de nouvelles pièces complémentaires ?
La jurisprudence a admis la possibilité pour un pétitionnaire de déposer spontanément des pièces complémentaires en cours d’instruction. L’instruction de la demande devra prendre en compte les nouvelles pièces, et les éventuelles modifications qu’elles apportent au projet.
Aucune décision du Conseil d’Etat n’a expressément apporté de clarification dans ce cas, mais plusieurs arrêts et jugement rendus par les Cour administratives d’appel et tribunaux administratifs sont venus préciser le raisonnement en la matière.
La solution dégagée par la jurisprudence pourrait donc être amenée à évoluer.
En l’état du droit actuel, concernant le délai d’instruction, il convient de distinguer deux situations.
En premier lieu, la production spontanée de pièces par le pétitionnaire peut ne pas avoir d’incidence sur l’économie générale du projet, et n’apporter aucune modification substantielle du projet initial.
Dans cette hypothèse, le dépôt spontané de pièces complémentaires pendant l’instruction n’a aucune conséquence sur l’écoulement des délais d’instruction, l’administration devant examiner la demande d’autorisation d’urbanisme au regard du projet modifié et non au regard du projet initial[6].
En second lieu, le dépôt de pièces complémentaires par le pétitionnaire peut avoir des incidences sur l’économie générale du projet initial, en le modifiant substantiellement.
Dans cette hypothèse, la production spontanée par le pétitionnaire de pièces complémentaires a pour effet d’interrompre le délai d’instruction.
À ce sujet, le Tribunal administratif de Montreuil a considéré que la production spontanée de pièces par le pétitionnaire, notamment lorsqu’elles modifient substantiellement la consistance du projet, peut faire obstacle à la naissance d’un permis tacite à l’issue du délai d’instruction.
Il incombe néanmoins dans cette hypothèse à l’administration, sauf circonstances très particulières, telle la reconnaissance expresse de l’existence d’un nouveau délai d’instruction par le pétitionnaire lui-même, d’informer ce dernier du nouveau délai d’instruction dans un délai d’un mois à compter de la réception des pièces complémentaires[7].
À défaut, la production volontaire de pièces complémentaires modifiant l’économie générale du projet par le pétitionnaire ne fait pas obstacle à la naissance d’une autorisation d’urbanisme tacite.
Saisie en appel, la Cour administrative d’appel de Versailles a validé le considérant de principe du tribunal[8], estimant que les pièces produites par la société, portant sur des agrandissements mineurs de certains espaces et précisant certains éléments dont notamment les issues de secours et les unités de passage qui n’avaient pas pour effet de changer de catégorie d’ERP, ne constituent pas des modifications substantielles qui auraient eu pour effet de rouvrir un délai d’instruction, alors que le tribunal y avait vu une modification substantielle du projet initial.
L’administration dispose toutefois de la faculté de retirer l’autorisation d’urbanisme illégale obtenue dans les trois mois, après avoir demandé au pétitionnaire de présenter ses observations[9].
[1] Voir : article R.423-23 du code de l’urbanisme
[2] Voir : article R.423-19 du code de l’urbanisme
[3] Voir : Conseil d’État, 13 novembre 2019, n°419067, mentionné dans les tables du recueil Lebon
[4] Voir : article R.423-41 du code de l’urbanisme
[5] Voir : article R.423-59 du code de l’urbanisme
[6] Voir : Cour administrative d’appel de Paris, 15 décembre 2016, n°15PA01824
[7] Voir : Tribunal administratif de Montreuil, 11 mars 2020, n°1901122
[8] Voir : Cour administrative d’appel de Versailles, 28 janvier 2022, n°20VE01270
[9] Voir : article L.424-5 du code de l’urbanisme